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France - 10 octobre 2012
Par François Burgat
François Burgat est un politologue, directeur de recherche au CNRS, depuis mai 2008 directeur de l'Ifpo (Institut français du Proche-Orient), à Damas puis à Beyrouth depuis janvier 2012.
La radicalisation d’une infime frange des musulmans de France (car c’est bien d’une infime frange qu'il s’agit, on semble trop souvent l’oublier) n’est sans doute que la partie émergée, ou l’expression pathologique d’un ressentiment qui est en fait latent chez un bien plus grand nombre d’entre eux.
Pour en comprendre l’origine, il faut sans doute accepter de quitter quelques instants le confort de l’inusable référence au "salafisme" ou au "jihadisme" de cette poignée de jeunes ou de moins jeunes qui semblent vouloir claquer la porte de la République. Et considérer plus courageusement le profond déficit de représentation dont souffre la communauté musulmane de France.
Sortie de mosquée à Epinay-sur-Seine le 5 octobre 2012 (M.FEDOUACH/AFP)
Un déni social
Si la table du "vivre ensemble" français boite lamentablement, c’est très vraisemblablement parce qu'elle a un pied (musulman) plus court que les autres. Si la souffrance, les vécus, la voix, l’histoire, l’humanité des autres ne pèsent pas autant que ceux des uns, si la violence des uns ne suscite pas la même émotion ou la même réprobation que celle des autres, un tel différentiel de reconnaissance, exacerbé ici et là par un déni social, peut fabriquer des individus tentés par les raccourcis de l’action violente la plus inexcusable.
Du voile (quelle que soit sa forme) aux encouragements quasi officiels à la "libre expression" de caricatures insultantes, des lieux de prière "malfamés" aux rites alimentaires décriés, le traitement de la différence musulmane fait de surcroît depuis plusieurs années l’objet d’une instrumentalisation électoraliste éhontée.
Ce différentiel de traitement des musulmans s’exacerbe également sur le terrain de la politique française dans la région du monde où vivent leurs co-religionnaires. Alors que les solidarités transnationales militantes sont parfaitement légitimes et légales pour les uns, elles sont rigoureusement interdites aux autres.
L'échec de la République
Un citoyen français peut en toute légalité républicaine partir endosser l’uniforme de l’armée israélienne et, dans des territoires palestiniens dont le droit international certifie pourtant qu’ils sont occupés parfaitement illégalement, assassiner en toute impunité ceux de leurs habitants que révolte la violence d’une telle occupation. Tel autre citoyen, tout aussi français, décide-t-il en revanche de prendre – autrement que par des mots – la défense de ceux-là, ou encore, de l’Irak à l’Afghanistan, celle de ses coreligionnaires qui se font massacrer dans des guerres dont la légitimité est plus que douteuse ? Celui-là, ce "fou d’Allah", ce "Jihadiste", sera la cible des fatwas sécuritaires de la légalité républicaine !
Le soutien complaisant, jusqu'au désaveu cinglant des printemps arabes, à des dictateurs totalement illégitimes, le soutien plus aveugle encore aux politiques les plus discutables de l’Etat hébreu, l’engagement irréfléchi dans une guerre afghane dont la légitimité est désormais largement contestée, les terrains sont nombreux sur lesquels l’humeur, ou même les conseils avisés d’une partie des citoyens de France ne dispose en fait d’à peu près aucun espace d’expression légale.
Au lieu d’affronter les exigences d’une indispensable introspection, la République semble avoir échoué pour l’heure à explorer d’autres pistes que celle de la surenchère répressive. Cette direction nous éloigne des remèdes de fond qui devront être osés pour préserver le socle français du "vivre ensemble".
Source : Le Nouvel Observateur
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